Carol Mann
Femmes afghanes en guerre.
Editions du croquant. Collection Terra.
Il s’agit d’une documentation considérable, qui est le fruit d’une observation directe, aussi bien que de la lecture d’un très grand nombre d’ouvrages, d’articles et de travaux universitaires. Carol Mann est chercheur en sc iences sociales, et fondatrice de l’association Femaid, qui travaille avec des femmes en Afghanistan rural. Elle a l’ex périence de son sujet, les femmes dans la guerre, depuis son séjour à Sarajevo.
Le livre de Carol Mann fourmille de remarques historiques, sociologiques, ethnologiques. Il échappe ainsi à tous les genres convenus. Décrire les conséquences de la guerre sur la population féminine d’Afghanistan (essentiellement du sud pachtoune) n’est pas sans difficultés, parce que le sujet change : la guerre modifie les comportements. Dans les camps de réfugiés, dans les nouvelles maisons en Afghanistan les femmes comme les hommes font, du fait de la guerre, l’expérience d’une certaine forme de modernité. Cette expérience est plus souvent déroutante que formatrice.
La conception traditionnelle de la famille, celle des relations entre femmes et hommes, la place des filles dans la société, autant de traditions qui sont menacées par des expériences d’exil ou par l’influence des nouvelles chaînes de télévision : un mouvement de recul bien compréhensible s’exerce devant ce qui est présenté comme la modernité, et qui est souvent excessif et dépourvu de sens. L’aide internationale, considérable, n’est pas seulement détournée : elle est inefficace parce qu’inappropriée. Elle ne s’adresse pas à des personnes situées dans le cadre de leur culture, essentiellement familiale. L’aide internationale part du principe que l’Etat fait consensus en Afghanistan, ce qui est loin d’être le cas. C’est plutôt à partir des associations de femmes que Carol Mann voit des perspectives, dans le sens d’une critique de la tradition.
Le retour d’exil permet la critique de la tradition, en particulier pour les femmes qui ont séjourné en Iran. Les femmes pourraient aussi profiter de ce qui finit par passer, malgré tout, de l’influence des ONG. Des bribes de ce que Carol Mann appelle les « apports occidentaux dilués » pourraient ainsi contribuer à former cette nouvelle génération de femmes qui pourrait prendre son destin en mains.
Mais tout cela dépend largement des conditions politiques, et en particulier des concessions que le gouvernement pourrait être amené à faire aux forces les plus réactionnaires. Carol Mann ne désespère pas d’une situation qu’elle sait faussée d’emblée : toute avancée réelle vers une politique de respect des droits humains étant interdite par l’expérience des années sous pouvoir communiste, et par une influence occidentale qui propose souvent comme l’exemple la seule recherche du profit.