Réunion publique du 15 octobre 2022
Mme Saadia Osmani, présente le déroulement de la réunion et passe la parole à Nafissa SIKANDARI :
Comment expliquer la chute aussi rapide du gouvernement d’ Ashraf Ghani ?
Nafissa revient sur la conférence de Doha. Pendant cette conférence et les discussions qui l’ont précédé, la délégation talibane n’a fait que mentir, faisant semblant d’accorder quelques concessions aux droits humains, au droits des femmes en particulier. Dès que les talibans ont pris le pouvoir, ces concessions ont disparu, et il est devenu évident que les talibans n’avaient pas changé.
Il est de plus en plus clair que les soldats du régime avaient reçu l’ordre de ne pas se défendre et de laisser rentrer les talibans dans Kaboul sans combattre.
La ligne de conduite des Américains est devenue très claire : les Américains ne voulaient qu’une chose : partir. « Les Américains nous ont offert aux talibans ».
Les talibans n’ont pas changé, mais on peut repérer parmi eux trois tendances : un groupe d’intégristes absolus, qui obéissent à un commandeur des croyants qui reste caché. Un second groupe qui fait semblant de vouloir mener une politique plus souple et qui accepterait à la limite la scolarisation des filles, et un groupe majoritaire de « soldats de Dieu » qui n’a qu’une formation de combattant kamikaze et aucune formation politique.
Depuis un an, les talibans ont fait la preuve de leur totale incapacité à diriger le pays. Pas de travail, chômage endémique, insécurité permanente… Ce pouvoir ne durera pas longtemps, mais pendant ce temps, il sévit durement.
Les premières victimes en sont les femmes. L’interdiction faite aux femmes de travailler supprime des secteurs entiers de l’économie et de l’administration du pays. Éducation, santé, administration étaient les trois secteurs où les femmes étaient employées.
Les talibans font régner la terreur en organisant des perquisitions nocturnes, à la recherche des fonctionnaires de l’ancien régime. Les viols, qui sont fréquents lors de ces perquisitions, donnent lieu à des mariages forcés. Les talibans organisent la terreur sexuelle, faite de viols et d’enlèvements.
La politique des associations humanitaire est claire : permettre aux populations de survivre. La plupart des associations distribuent des vivres : c’est également ce que nous faisons avec nos colis alimentaires… Il n’est plus question pour l’instant d’améliorer une bibliothèque ou des salles de réunion ou un gymnase : lutter contre la faim devient le programme essentiel de toutes les associations. Le rétablissement de la sécurité n’est pas du ressort des associations : il viendra certainement, parce que les Afghans ne sauraient supporter longtemps cette terreur.
Intervention de M. le proviseur …m.. H.
Proviseur d’un lycée de Kaboul jusqu’en Aout 2021
Je vous remercie de m’avoir invité pour témoigner.
Je remercie l’Association «Solidarité Provence Afghanistan », pour tout le soutien qu’elle a apporté aux deux lycées dont j’ai été successivement proviseur. Je suis actuellement réfugié aux Pays-Bas, mais je garde un contact téléphonique permanent avec mon dernier lycée.
Je vais vous parler aujourd’hui de deux sujets :
Je vais vous dire quelques mots à propos du fonctionnement de l’Éducation nationale et de l’efficacité des aides. Je vais vous parler ensuite des changements survenus dans la scolarité des filles et le travail des professeurs femmes.
Quelques mots sur l’efficacité des aides : je voudrais dire qu’elle est visible dans la progression des élèves. Je tiens des statistiques sur la réussite à l’examen terminal (après la troisième année du lycée, l’équivalent du baccalauréat). Le taux de réussite a été en progression constante depuis que nous travaillons ensemble. Cela est dû à l’amélioration des équipements collectifs. Le terrain de sport, l’équipement de la bibliothèque, les achats de livres, les achats d’ordinateurs, la distribution d’uniformes pour les garçons et pour les filles, quel que soit l’âge ; le renouvellement constant du matériel abimé, l’amélioration des conditions matérielles que votre aide a permis, mais surtout peut-être a joué un sentiment psychologique : les élèves et les enseignants avaient le sentiment de ne pas être abandonnés, de participer à un effort commun et international. Je dois parler aussi de l’aménagement du circuit d’eau potable, de l’installation des réservoirs d’eau, du matériel des laboratoires de physique et de chimie, des fournitures de bureau, de la salle de réunion des professeurs, de la moquette de la crèche des enfants du personnel du lycée. Tout cela participe de l’éducation au sens large puisqu’il s’agit du bien-être, du confort de la bonne santé des élèves. Je signale l’importance particulière de la salle de réunion : c’est un symbole.
Chaque professeur connait l’origine de ces aménagements, et surveille soigneusement leur entretien. Dans la période actuelle je sais, par les contacts téléphoniques que nous conservons, qui ce matériel est bien gardé.
Je voulais intervenir aussi sur un sujet essentiel, vous le savez : l’éducation des filles. Le système éducatif se dégrade à toute vitesse, du fait des mesures prises par les talibans sur l’éducation des filles. Le problème se pose surtout dans les villes, là où il y a des enfants du niveau du collège et du lycée. On ne voit pas toujours que les mesures prises par les talibans détruisent le système dans son ensemble, y compris bien sûr, la scolarité des garçons.
Les femmes forment 80% de l’effectif des enseignant(es), le fait que les femmes soient chassées entraîne une dégradation numérique automatique du nombre de garçons scolarisés. Les femmes donnaient des cours aux garçons et aux filles, l’interdiction du travail des femmes fait fuir aussi les garçons, qui sont de plus en plus nombreux à déserter l’école
Le niveau a déjà baissé ; cela se constate déjà en quelques mois. Il y a aussi pour cela une raison économique : les salaires des enseignantes nourrissaient de nombreuses familles. Ils continuent d’être payés par l’UNICEF, il s’agit de 100 € par mois environ. Le maintien du système éducatif, tout dégradé qu’il soit, est une question de survie, en situation de famine.
L’interdiction des talibans vise particulièrement l’enseignement scientifique : le plus grand nombre des profs de mathématiques , de physique, de biologie et d’histoire étaient des femmes. C’est le résultat direct d’une conviction des talibans : c’est péché d’essayer de savoir comment le monde fonctionne. C’est l’affaire de Dieu. Ainsi, de plus en plus d’enfants estiment que la terre est plate…
Les écoles clandestines se développent à toute vitesse, surtout dans les régions les plus pauvres, chez les Hazaras et les chiites. Le niveau de la plupart d’entre elles est assez faible. On y enseigne surtout l’anglais et l’informatique. Ce sont, en fait des écoles préparatoires à l’exil. On n’a pas beaucoup de renseignements sur les écoles clandestines du fait du manque de journalistes.
Les tensions inter-ethniques grandissent. Prenons l’exemple du recrutement des fonctionnaires. Dans le récent concours de recrutement des fonctionnaires de niveau 3, le niveau le plus élevé, les candidats ont constaté avec stupeur que les questions des QCM étaient rédigées en langue pachtoune exclusivement. Les persanophones n’ont pas pu se présenter au concours. Les talibans ont clairement signalé qu’ils allaient établir le pachtoo comme seule langue officielle.
L’interdiction du travail des femmes se fait petit à petit. Chaque région, chaque village croit y échapper, et voilà qu’on annonce des visites domiciliaires pour vérifier l’application de la loi.
Les talibans, la nuit tombée, entrent de force dans les maisons pour chercher des fonctionnaires de l’ancien régime. Ils cherchent aussi des jeunes filles. Ils les violent parfois, puis les épousent.
Ces pratiques créent bien entendu la panique dans la population. Les familles n’osent pas parler.
Je dirai un mot aussi des déplacements de population. Comme certains régimes auparavant, ils essayent d’installer des familles pachtounes, nomades ou originaires des zones tribales, dans le Nord. Parfois les talibans mettent le feu aux maisons, et récupèrent les terres fertiles.
Les talibans ne réfléchissent à aucun programme de développement du pays.
Ils dépendent des ordres que leur donnent les dirigeants pakistanais. Nous demandons à la communauté internationale, si elle veut bien nous entendre, qu’elle fasse pression sur le Pakistan pour faire cesser la pratique des mariages forcés, des déménagements forcés de populations.
Michel et Nafissa T. firent ensuite un exposé sur les dernières actions sur place : parrainages et distributions de colis alimentaires. Exposé suivi d'un rappel des actions de l'association depuis sa création. Le tout illustré de photos et de vidéos.
La séance se termina autour d'un thé agfhan.