Fondée en Mars 2005, cette association a pour but de fournir une aide humanitaire aux populations d’Afghanistan, en particulier dans le domaine éducatif et d’organiser des rencontres culturelles et d’information sur l’Afghanistan.

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Actualité en Afghanistan

Etienne Gille. Vice-président d’ Afrane

Conférence à Marseille, le samedi 17 janvier 2015 à la maison de la région

 

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La conférence a été retranscrite, en essayant de garder le style oral.

Il faut d’abord que je précise d’où je parle, quelle est ma méthode en quelque sorte. Quand je vais en Afghanistan J’essaye de ne pas avoir de préjugé idéologique. Je n’ai pas d’analyse, faite au préalable, que je chercherais à conforter. Je regarde, j’ouvre les yeux, je raconte ce que je vois. J’essaye d’être sincère.

J’ai quand même un petit biais dans le regard. J’ai tendance à voir ce qui marche plutôt que ce qui ne marche pas. J’ai quand même un regard positif. Comme vous le savez, vous pouvez me corriger.

Je précise encore que j’ai vécu 10 ans en Afghanistan. Depuis mon retour en France, avec mon épouse, il y a toujours eu des événements auxquels on nous a demandé de réagir, on nous a demandé de rester mobilisés en permanence. Je n’ai jamais quitté l’Afghanistan ni par la pensée ni par le coeur. J’y vais actuellement chaque année. J’y étais en septembre dernier. Les nouvelles sont donc relativement fraîches.

On a dit que 2014 serait une année cruciale

Il est vrai que trois facteurs sont intervenus en même temps, en 2014.

- C’était l’année fixée pour un accord stratégique négocié avec les Etats Unis, pour savoir si les Etats Unis allaient maintenir des troupes.

- C’était l’année fixée pour le départ des troupes étrangères d’Afghanistan.

- C’était aussi la fin du mandat d’ Ahmed Karzaï et l’année des élections présidentielles.

Tout cela contribuait à créer une certaine anxiété en Afghanistan et sur le plan international. On se demandait comment l’Afghanistan allait affronter ces trois problèmes.

Avant d’aborder ces trois enjeux, il faut fixer un point de comparaison, pour placer l’Afghanistan dans une perspective. Le point de comparaison que je choisis, c’est 2002.

L’Afghanistan était alors en perdition, c’était un pays en quelque sorte rasé. Les campagnes avaient beaucoup souffert de la résistance du peuple afghan contre les soviétiques. Kaboul et les villes ont souffert après, du fait des combats entre les moujahidins et de l’action des talibans. En 2002, 50% de la ville de Kaboul était rasée. Il n’y avait plus de routes. Ceux qui ont été à Kaboul en 2002 ont vu une ville rasée. Pour aller à Djalalabad, on mettait cinq heures. Djalalabad est à 120 ou 150 kilomètres de Kaboul. On mettait cinq heures par une piste épouvantable.

En 2002, il n’y avait pas de téléphone, pas d’administration, sauf quelques rares personnes qui étaient à leur poste. Il n’y avait pas d’éducation. Pas d’écoles de filles. Les écoles de garçons étaient toutes devenues des madrassas.

Il n’y avait plus d’armée, plus de police.

Il faut avoir en mémoire cette situation pour résister à l’image que donnent certains journalistes de l’Afghanistan : ils voient un pays pauvre, ils disent c’est un pays pauvre, cela veut dire que rien n’a changé. C’est toujours un pays pauvre , mais énormément de choses ont changé.

En 2002, c’était un pays qui n’existait plus. En 2002, il y a eu une renaissance. Tout était à recréer à partir de zéro. Les administrations ont redémarré.

Les écoles étaient dans un état misérable, les rectorats eux-mêmes, étaient des pièces obscures… Entre 2002 et maintenant l’Afghanistan a connu un développement assez important, particulièrement dans le domaine de la santé et de l’éducation.

Il y a eu recréation d’une armée, d’une police. L’Afghanistan est aujourd’hui doté d’une armée qui est à peu près en état de fonctionner.

Il se trouve que les pays occidentaux sont saisis d’une sorte de fatigue, une lassitude à aider l’Afghanistan, jute au moment où l’Afghanistan est capable de se remettre sur ses pieds.

Pour être complet, je dois souligner le développement considérable des moyens de communication. On note l’apparition de chaînes de télévision multiples, indépendantes… pas nécessairement indépendantes de leurs propriétaires privés, mais en tout cas indépendantes du gouvernement. Sur ces chaines, les Afghans ont accès à des débats politiques. Le chauffeur de taxi est souvent à l’écoute d’une radio où les auditeurs de toutes les provinces expriment leur point de vue. La parole est complètement libre. La pluralité des chaines est une garantie de liberté. Chacun a le droit de critiquer le gouvernement, les media ne se privent pas de critiquer Karzaï. La seule limite à la libre expression est de nature religieuse. On ne peut pas exprimer de point de vue religieux différent de la conception orthodoxe.

Ce développement de la télévision et de la radio concerne les villages les plus retirés. Je prends l’exemple du district de Waras, où travaille Afrane, au centre de l’Afghanistan. Pour aller à Waras, il faut aller à Bamyan, puis faire encore sept heures de route. Mais on trouve la télévision à Waras. Il y a des capteurs solaires sur les toits qui servent à faire marcher la télévision. J’ai demandé à un habitant : «  A quoi sert l’électricité dans ton village ? » « Mais ça sert à regarder la télévision, bien sûr ». L’utilité première de l’électricité, c’est la télévision.

Le développement d’internet et des réseaux sociaux est beaucoup moins important et concerne surtout les villes, et les cafés-internet. Tout le monde n’est pas relié à internet, loin de là, mais c’est un défi pour les années qui viennent.

Je n’insiste pas sur le développement très important du téléphone. Aussi éloignés soient-ils de Kaboul, les Afghans sont en relation avec le monde entier. Chaque Afghan a un membre de sa famille quelque part dans le monde, les uns sont en France, les autres aux Etats-Unis, d’autres encore en Australie… Par ce biais le moindre paysan afghan est en relation avec le monde entier. Il y a 30 ou 40 ans, ce même paysan n’était informé de rien du tout. Cela change complètement les mentalités et contribue à l’ouverture d’esprit. Les Afghans sont maintenant des gens politisés qui participent aux débats de société.

J’ai interrogé un ami afghan extrêmement cultivé et informé à propos des séries télévisées. Je lui ai demandé si les séries coréennes, indiennes ou turques qui sont largement diffusées sur les télévisions n’allaient pas abêtir les spectateurs. « Détrompe-toi, m’a répondu cet ami, ces séries entraînent des débats dans toutes les familles, les gens discutent de leur mode de vie, et cela crée une évolution sociale ».

Parmi les changements, il ne faut pas oublier le plus important, celui de la situation des femmes.

Entre la situation sous les talibans et la situation d’aujourd’hui, c’est le jour et la nuit. Le premier niveau d’évolution c’est l’école. Beaucoup de filles sont scolarisées. Beaucoup de filles vont à l’université. Beaucoup de femmes deviennent professeurs. Dans l’administration afghane, il y a des femmes qui ont des postes de responsabilité. J’ai été étonné récemment : nous avions à obtenir des autorisations pour une construction scolaire. Nous avions des problèmes techniques. On nous avait adressé au bureau des ingénieurs : on me dit : «  madame untel a donné tel avis » J’ai posé la question : « Il s’agit bien d’une dame ? » On m’a confirmé que la responsable du bureau des ingénieurs au ministère de l’éducation nationale était une dame. C’était impensable il y a quelques années encore, peut-être pas cependant du temps des communistes, quand certaines femmes avaient pris des responsabilités.

Tout cela ne veut pas dire que la situation est Idyllique et que tout se passe bien. J’affirme simplement que l’Afghanistan a énormément changé.

Parmi les principaux problèmes qu’il faut souligner, le premier est sans doute celui de la corruption. Il y a toujours eu de la corruption en Afghanistan, mais ce problème a pris de l’ampleur. La corruption a augmenté presque proportionnellement à l’aide internationale.

Il y avait beaucoup de corruption du temps du roi, il y en avait beaucoup aussi du temps de Daoud. Ce que les gens attendaient déjà du temps de Daoud, c’est qu’un pouvoir fort mette un terme à la corruption. Si les gens étaient heureux, à l’époque, que Daoud prenne le pouvoir, c’était parce qu’ils pensaient qu’il allait mettre fin à la corruption. Je me souviens d’une anecdote : j’avais demandé «  pourquoi êtes vous satisfaits de l’arrivée au pouvoir de Daoud ? ». On m’avait répondu : « Parce que Daoud est un homme énergique ». « Pourquoi est-il un homme énergique ? ». « Parce que, quand un boulanger avait triché sur le poids du pain, et avait fait des pains de 200 grammes au lieu du poids réglementaire de 250 g, Daoud avait ordonné qu’on mette le boulanger dans le four ». La tricherie existait, la corruption existait, à la mesure de la famine. Du temps du roi, il y avait des gouverneurs qui avaient fermé des silos de blé pour faire grimper les prix et revendre à des prix exorbitants. La corruption entraîne la demande d’un pouvoir fort. Les Afghans, en général attendent un pouvoir ferme, une direction précise, des ordres draconiens.

La corruption s’est encore développée dans les dernières années parce que beaucoup d’argent est arrivé. Le pays n’était pas structuré pour recevoir une telle manne financière. Karzaï disait toujours, à propos de la corruption, qu’il ne s’agissait pas seulement de la corruption des Afghans, mais de la corruption des entreprises internationales, ou de certains responsables internationaux qui profitaient de l’aide.

La corruption est un problème majeur : la production de la drogue aussi. Vous savez que la culture du pavot s’est beaucoup développée en Afghanistan, et qu’elle se maintient à un niveau très élevé depuis 4 ans. Il a été impossible de juguler cette production de drogue. Le gouvernement afghan et les forces étrangères ont hésité sur la conduite à suivre car ils craignaient que si l’on s’en prenait aux paysans cultivateurs de drogue, alors ces paysans se retourneraient et chercheraient des appuis du côté des talibans.

L’insécurité et le retour les talibans constituent un autre problème majeur. Entre 2002 et 2006, on peut dire que la sécurité progressait. C’est après 2006 que les talibans ont à nouveau progressé, avec le soutien des Pakistanais. Les talibans ont réussi à s’infiltrer, à regagner des positions, en profitant du mécontentement des populations. A mon avis, ce mécontentement est essentiellement lié à la mauvaise administration de la justice. Ce qui a fait le lit des talibans, c’est l’incapacité du gouvernement à faire une justice rapide, exemplaire et définitive. Celui qui est condamné à faire de la prison va demander l’appui financier d’un cousin. Le cousin qui a de l’argent va payer pour obtenir une libération anticipée, quand il n’aura pas pu, auparavant, payer pour obtenir une décision favorable du juge. Le brigand sera vite libéré, souvent il n’est même pas enfermé. La justice des talibans se fait sans enquêtes, elle est rendue immédiatement, et les peines sont définitives, elle est rapide, implacable et cruelle. Mais les paysans afghans la préfèrent parfois à la justice corrompue qui favorise les plus riches. Ainsi, tous ces problèmes sont liés : c’est la corruption qui crée le mauvais fonctionnement de la justice. Tant que l’Afghanistan n’aura pas une justice qui apparaîtra fiable, qui fonctionnera de manière rapide, équitable, avec des enquêtes sérieuses, il n’y aura pas d’apaisement.

A propos de l’aide internationale l’aide internationale est très critiquée, mais la critique est souvent trop facile. L’aide internationale a fait énormément de choses. Les fonctionnaires afghans se plaignent parfois, mais ils sont payés par l’aide internationale. Les professeurs se plaignent, mais ils sont payés par l’aide internationale. L’armée et la police sont payés par l’aide internationale. Les routes ont été construites par l’aide internationale. La route de Kaboul à Djalalabad, par exemple, a été construite sur des fonds de la communauté européenne, et par des entreprises chinoises.

On dit souvent que l’aide internationale a couté des milliards de dollars aux pays occidentaux. C’est vrai, mais elle a été souvent efficace, même si il y a eu des détournements de part et d’autre. Il faut savoir compter en milliards. Il faut tenir compte des millions de personnes qu’on a aidées, et voir aussi que les grands plans de développement s’étalent sur plusieurs années.

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Toutefois l’aide internationale n’a pas donné les résultats qu’on attendait, pour les raisons suivantes.

Je pense, tout d’abord, qu’on a trop fait espérer aux Afghans qu’on pourrait développer leur pays en quelques années. Si on savait transformer un pays pauvre en pays riche en une dizaine d’années, il n’y aurait pas de pays pauvre sur la planète. On n’a pas la recette pour transformer un pays pauvre en pays riche. Si cette recette existe on ne la connaît pas.

Quand on voit l’Afghanistan du ciel, on ne voit que de très hautes montagnes. On ne peut évidemment pas attendre un développement rapide d’un pays entièrement montagneux.

Deuxièmement, on a sous-estimé la difficulté de reconstruire un pays dont tous les cadres avaient disparu. La plupart des cadres afghans ont été tués, ou sont partis en exil parce qu’ils ne pouvaient pas vivre dans ce pays.

Les experts internationaux ont besoin de relais. Il faut des ingénieurs, des techniciens, pour reconstruire des groupes scolaires, des routes, des ponts…

L’école avait disparu. Il faut donc reprendre la formation des cadres depuis le début. Il faut combien de temps pour former un cadre ? 12 ans pour aller jusqu’au bac ; 4 ans au moins d’université : il faut 16 ans au moins pour former un cadre qui n’aura pas encore d’expérience professionnelle.

Evidemment, quelques cadres sont rentrés de l’étranger, quelques-uns ont survécu dans leur poste, mais cela est loin de faire un nombre suffisant.

On mesure bien ce problème dans les écoles. Au début, les professeurs n’avaient aucun diplôme, aucune formation. J’ai connu des professeurs de mathématiques qui étaient incapables de mesurer un segment avec un double décimètre. J’ai entendu un professeur demander à un autre ce qu’étaient les petits traits entre les grands traits, sur le double décimètre. On devine que les élèves formés par ces professeurs pouvaient difficilement atteindre des résultats brillants.

Troisièmement, la rotation trop rapide des experts internationaux les rend souvent inefficaces. Les experts arrivent, souvent très bien payés. Ils partent au bout d’un an ou deux, parce qu’ils ont des promotions qui récompensent le choix qu’ils ont fait d’aller dans un pays dangereux. Le remplaçant arrive : il est originaire d’un autre pays, il a suivi une autre formation, il donne des avis tout à fait différents ; il faut surtout ne pas faire comme le précédent disait, il faut faire tout le contraire. Afrane souffre aussi de ce manque de continuité. Il faut du temps aux personnes pour comprendre les contraintes et les difficultés du pays.

Quatrième point :l’absence d’Etat :

Comme on l’a vu, il n’y avait pas d’Etat en 2002. Pas de possibilités de faire des plans de développement. Il n’était évidemment pas possible de faire un plan coordonné pour la reconstruction de Kaboul, par exemple

L’Etat commence aujourd’hui à se reconstituer. Cela se traduit souvent par des tracasseries bureaucratiques. Les petits fonctionnaires vous ennuient plutôt qu’ils vous aident. Mais c’est sans doute le passage obligé pour que l’Afghanistan puisse prendre de manière raisonnée des décisions. En toute souveraineté.

Un retour des talibans est-il possible ?

Cette question est souvent posée, et c’est vrai qu’il y a là une inquiétude légitime. Il est facile de constater que la sécurité s’est dégradée d’année en année depuis 2006. Ce cheminement est –il une fatalité ?

Le retour des talibans, c’est une réalité, les talibans sont implantés dans plusieurs régions. Mais ma conviction est que les talibans restent une force très minoritaire, même si leur pouvoir de nuisance est important. Il est vrai qu’ils terrorisent une partie de la population. Je pense que la partie de la population qui soutient les talibans est faible. Les talibans ont très peu de partisans à Kaboul. Ils n’en ont pas dans le Hazaradjat, presque pas dans les régions ouzbèques. Certes, il y a des poches où les talibans exercent leur pouvoir, à Kunduz, à Baghlan, et évidemment dans le sud.

Mais il faut comprendre que même là où les talibans ont une présence combattante importante, la population les supporte(1) parce qu’elle ne peut pas faire autrement, elle les supporte parce qu’elle a peur, ou par solidarité clanique, ou par tradition. Un village ne peut pas refuser l’hospitalité à une équipe de talibans qui demande à être hébergée pour la nuit, mais cela ne signifie pas que ce village est acquis aux talibans. C’est le respect d’une obligation traditionnelle. Les Afghans n’aiment pas les talibans : on les craint, mais on ne les aime pas. Il me semble extrêmement improbable que les talibans puissent un jour dominer l’Afghanistan.

(1)Supporte au sens français du terme, c’est-à-dire les acceptent malgré eux et non pas au sens anglais et sportif du terme à savoir soutenir.

Sauf si les Pakistanais, qui tiennent en main bien des cartes qui concernent les talibans, pesaient de tout leur poids pour les aider, ce que je crois hautement improbable.

Si un scénario catastrophe devait se produire, plus qu’une nouvelle arrivée au pouvoir des talibans, je crains un approfondissement des oppositions ethniques. On peut imaginer que le pouvoir politique soit miné par ses divisions, qu’il se révèle extrêmement faible. Si ces divisions prenaient un caractère ethnique, et qu’elles venaient à concerner l’armée, cette armée pourrait connaître des dissensions, des défections. La détérioration de la situation pourrait conduire à une guerre civile opposant des fractions de l’armée.

Ce que je crois le plus vraisemblable, c’est une série d’arrangements «  à l’afghane », des compromis. L’élection de Ghani, les compromis qui ont permis aux deux anciens candidats du second tour de se partager le pouvoir politique montrent qu’il y a dans l’élite politique afghane d’aujourd’hui un sens certain du compromis. L’Afghanistan peut arriver par-là à une consolidation.

Les élections et la formation du gouvernement.

Les élections, un des enjeux les plus importants de 2014, ont été paradoxales.

Dans la phase de préparation, beaucoup de gens, de mauvais augure, inventaient des scénarios négatifs. On disait que Karzaï garderait le pouvoir en décrétant l’état d’urgence. On pensait que les Américains chercheraient aussi une formule pour prolonger Karzaï.

Le processus électoral, en dépit de ces pronostics pessimistes, a été un succès. Il y a eu un réel débat politique. Une anecdote : alors que nous devions faire imprimer un document pédagogique, nous avons fait le tour des imprimeurs. Tous nous ont dit de repasser après les élections. Les imprimeurs étaient saturés par les commandes de tracts, d’affiches, de professions de foi. Il y avait un débat démocratique, la démocratie a beaucoup progressé. Ghani a fait beaucoup de meetings. Abdullah Abdullah aussi. Les élections ont eu lieu : la communauté internationale s’est étonnée : les Afghans veulent voter ! Ce fut un grand moment d’expression démocratique. Les gens étaient fiers d’aller voter.

Mais le deuxième tour a été marqué par une fraude massive. Il y a eu environ sept millions de votants. Les observateurs les plus sérieux estiment que les fraudes ont eu lieu des deux côtés. La fraude aurait porté sur 700 000 à 900 000 voix pour Ghani, sur 300 000 du côté de Abdullah Abdullah. Cette situation posait évidemment d’énormes problèmes. Selon le jugement que l’on portait sur l’ampleur des fraudes, on pouvait juger l’un ou l’autre vainqueur.

Les Américains sont intervenus, et ont poussé les deux candidats au compromis :

On ne publierait pas officiellement les résultats du deuxième tour.

On formerait un gouvernement d’union nationale.

Ghani serait président, et on créerait pour Abdullah Abdullah un poste de chef de l’exécutif.

On peut estimer que Ghani a été sauvé par la fraude, mais je pense que les régions où les gens ont été empêchés d’aller voter par les talibans auraient voté massivement pour Ghani, si on avait pu s’y exprimer.

J’ai pu constater que Ghani était de façon très évidente, largement majoritaire à Kaboul. Gardiens, chauffeurs de taxis, hautes personnalités, Afghans travaillant pour les associations… bien des personnes que j’ai pu rencontrer étaient favorables à Ghani.

Ghani jouit d’une image favorable ; il est perçu comme une personne compétente, capable d’occuper le poste de président. Les gens pensent qu’il peut faire progresser le pays.

Problèmes de fraude mis à part, Ghani l’a emporté aussi parce que les gens étaient en colère contre l’entourage d’Abdullah Abullah. Abdullah Abdullah a aussi une bonne image. On le juge aussi compétent. Il n’y a pas de différence de programme politique entre les deux hommes. Mais beaucoup de gens considèrent qu’Abdullah Abdullah est malheureusement entouré de personnes corrompues.

On peut voir les élections de deux manières : on peut insister sur le caractère démocratique du débat, ou insister sur les fraudes. Les deux manières de voir sont justifiées.

De manière positive, on peut dire que c’est la première fois que la transition entre deux chefs d’Etat s’est faite de manière pacifique, sans guerre civile, sans assassinats…

Mais les fraudes jettent plus qu’une ombre au tableau. On ne peut malheureusement pas dire que le processus électoral ait été démocratique jusqu’au bout.

Le retrait américain et la sécurité :

Tout le monde était favorable à la signature du traité stratégique avec les Américains. Sans la signature du traité, les institutions ne seraient plus financées. Abdullah Abdullah et Ghani étaient favorables au traité.

La signature est restée longtemps en suspens, parce que Karzaï a fait une colère. Il ne voulait pas laisser la place sans prendre ses distances par rapport aux Américains. Il voulait passer à la postérité comme un dirigeant qui a su résister aux Américains. Il a refusé de signer tout en sachant que son successeur serait obligé de le faire. Il ne prenait ainsi aucun risque : le traité serait signé forcément, mais sans lui. Bien entendu, le premier acte de Ghani a été de signer le traité, l’acte a été validé par les deux assemblées, sans opposition déclarée.

Les Américains vont garder 9500 hommes et quatre ou cinq bases. 2500 hommes d’autres pays vont également rester. Ces soldats n’interviendront pas dans les combats, mais dans la formation et le soutien logistique.

En général, les Afghans sont plutôt rassurés. L’armée afghane, par ailleurs, a pris de l’ampleur et de l’assurance dans les combats contre les insurgés, mais elle n’est pas encore capable de maîtriser seule la situation et d’assurer une sécurité suffisante pour le développement.

Le reste de la conférence concernant plus spécialement les problèmes d’éducation, s’est fait à partir du commentaire des photos des réalisations d’AFRANE dans le domaine scolaire. Ces photos sont visibles sur le site d’Afrane.

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