Rapport du voyage de mai 2014. Nafissa et Michel.
Le contexte politique et la sécurité :
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Tout, en Afghanistan, est maintenant suspendu aux résultats du second tour des élections présidentielles. La plupart des personnes que nous interrogeons croient à la victoire d’Abdullah Abdullah, mais tout est encore possible. L’activité économique est au ralenti ; personne n’embauche, personne ne prend le moindre risque avant les résultats du second tour. Cette situation d’attente crée un certain marasme économique, et augmente le chiffre du chômage.
Les milieux économiques souhaitent la signature la plus rapide possible de l’accord avec les Américains, pour relancer l’activité. Les deux candidats au second tour, le docteur Abdullah et Ashraf Ghani Ahmadzaï sont favorables à la signature. Cet accord bilatéral de sécurité prévoirait la présence de 10 000 soldats américains au moins jusqu’en 2016, pour développer 5 bases d’intérêt stratégique régional. (Surveillance de l’Iran, du Pakistan, de la Chine). Les Américains financent le développement de l’ANA (armée Nationale Afghane) qui compte 200 000 hommes environ aujourd’hui. Certains spécialistes jugent que les effectifs armés+ police devraient être portés à 400 000 hommes pour répondre aux besoins.
Il suffit de circuler dans Kaboul pour comprendre que l’armée nationale afghane a changé de nature. Il y a quelques années, c’était une troupe de pauvres hères que personne ne respectait ni ne prenait en compte : c’est aujourd’hui une troupe relativement bien payée (300 $ par mois, contre 50 il y a 5 ans) et visiblement bien entraînée. Les désertions se sont arrêtées. Les chefs de l’ANA réclament l’armement sophistiqué dont les Américains se servent quotidiennement : les hélicoptères de combat, les drones, les chasseurs-bombardiers. Les Américains refusent de confier aux Afghans ces armes décisives, mais ils confient volontiers à l’ANA les moyens de transport et les armes conventionnelles. Dans la capitale en tout cas, les Américains ne sont pas visibles, et toutes les tâches de sécurité et de contrôle sont confiées à l’ANA. En cas de coup dur, les Américains ne sont pas loin. A Bagram.
Fait nouveau : l’armée nationale afghane jouit du respect d’une grande partie de la population. Dans la rue, dans les parcs, on croise des enfants qui sont revêtus de petits uniformes à leur taille et qui circulent fièrement au milieu de leur famille. « Enfin, on a une armée à nous » . Cette adhésion visible à l’ANA et à la police se constate aussi à l’acceptation bonhomme des nombreux contrôles. Les Afghans, dans cette fierté retrouvée, ont parfois tendance à oublier un peu que cette armée est financée par les Américains.
Le scénario-catastrophe serait celui d’un troisième tour des présidentielles « à la Kalachnikov », les partisans du candidat arrivant en second n’acceptant pas le verdict des urnes, et tirant argument de certaines tricheries (toujours possibles) pour essayer de modifier le résultat des urnes par la force. Ce scénario paraît pour l’instant très improbable. La plus grosse difficulté reste liée au financement de l’armée. Jusqu’à quand les américains accepteront-ils de financer l’armée afghane, et jusqu’à quelle hauteur ?
Le départ des armées et de plusieurs associations :
Le départ des contingents de l’ISAF n’aurait pas dû entraîner le départ de nombreuses associations. Or, le destin des associations était plus lié à celui des troupes que l'on pouvait le penser. De nombreuses associations prévoient leur départ après le second tour des élections. Ou au moins leur retrait provisoire, et elles fixent de sérieuses conditions à leur retour. On ne sait pas bien pourquoi l’hypothèse d’une insécurité croissante est privilégiée. Le premier tour a été une assez belle démonstration de démocratie, et il n’est pas prouvé que le second tour ne soit pas de même nature. Regardons les pays voisins. Où se déroulent des élections libres, avec des débats réels à la télévision et sur Internet ?
Une transition économique est en préparation : à une économie partiellement assistée (celle qui était gérée par les associations) va se substituer une économie autonome. En attendant on assiste un peu au partage des dépouilles : le matériel ne va pas toujours aux plus nécessiteux, et bien des stocks humanitaires se retrouvent vendus au plus offrant, et pas distribués à ceux qui en auraient le plus besoin. Cela exige une vigilance de tous les instants de la part des associations humanitaires.
Les associations ne font plus ce qu’elles veulent comme elles veulent, pour autant que le gouvernement afghan prend le contrôle des institutions qui lui reviennent normalement. Les associations ne peuvent plus imposer leur modèle de développement ici ou là, selon la carte fantaisiste de leur bon vouloir, et c’est bien ainsi, sans doute. Cette transition peut avoir, à la marge, des aspects mafieux dans le partage des dépouilles des associations et des armées qui partent, et qui relâchent un peu leur vigilance, mais la récupération par l’État de ses fonctions est une nécessité. Il faut certainement pardonner aux Afghans le caractère tatillon et parfois bureaucratique de leurs nouvelles administrations (et de leurs nouvelles dispositions bancaires !) le contrôle doit bien être tatillon pour être réel, après des années de laisser faire.
Nous comprenons et partageons en partie cette appréciation du dernier rapport moral d’AFRANE :
« Des relations difficiles avec les administrations afghanes : difficultés pour ouvrir un compte en banque, soupçons sur notre autorisation à construire, difficultés pour obtenir les visas et permis de travail, audits de notre mission, soupçons sur la régularité de notre appel d’offres pour les travaux de Nazou Ana, démarches très compliquées pour tous les actes de la mission… »
(Exemple : il y a quatre ou cinq ans, on pouvait envoyer de l’argent en Afghanistan comme on voulait à qui on voulait, sans contrôle, sur un simple coup de téléphone, par Western Union, par exemple, ce qui était étrange dans un pays où séjournaient de nombreux jihadistes ) aujourd’hui, les contrôles sont méticuleux ; il faut s’y prendre à trois fois, remplir les formulaires selon les desiderata précis des employés de banque. Rentrer en contact téléphonique avec eux… C’est énervant, certainement excessif, mais l’État essaye sa force nouvelle en diffusant des consignes impératives. De la même façon, on ne peut guère se plaindre des nombreux contrôles (efficaces) à l’entrée de l’aéroport de Kaboul, et aux carrefours principaux de la capitale. Un État est en train de naître et récupère partiellement sa souveraineté.
L’aide à l’éducation.
Une des questions essentielles de l’éducation est celle de la qualité. Des masses d’enfants sont scolarisées, souvent pour deux heures par jour, et s’approprient un contenu qui laisse à désirer. Nous avons par exemple examiné bien des cahiers d’anglais : souvent, le même mot est recopié en lettres capitales, une trentaine de fois sur la même page, sans que l’élève sache le lire et encore moins le traduire dans sa propre langue. Tout ce qu’il sait, c’est l’alphabet, mais au bout de deux ans d’anglais, il ne sait pas associer les lettres.
La pédagogie la plus courante est celle de l’apprentissage par cœur. La lecture est presque toujours oralisée. (Les enfants qui apprennent une leçon se mettent à l’écart, ou dans le jardin : ils apprennent leur leçon en la « chantant » comme si le modèle de l’école coranique s’était imposé en toute forme d’enseignement).
Quand on visite les établissements scolaires, on entend au travers des portes et des cloisons un brouhaha significatif : la classe n’est évidemment pas silencieuse ni concentrée.
La qualité de l’enseignement public est souvent si mauvaise que l'on nous a conseillé cette année plusieurs fois de consacrer l’argent que nous apportions à l’enseignement privé. Beaucoup d’Afghans désespèrent de l’enseignement public et essayent par tous les moyens de trouver l’argent pour inscrire leurs enfants dans le privé. On nous disait « Si vous voulez aider les Afghans, ne mettez pas l’argent de votre association dans le public. C’est le jeter dans un puits sans fond. Fondez une école privée, choisissez les enfants que vous y inscrirez, et délivrez des diplômes sérieux » L’inflation des diplômes « bidon » est un phénomène grave.
Pour attirer la clientèle, certaines écoles privées délivrent automatiquement un diplôme à la fin de la scolarité, quelque soit le niveau de l’élève. Le diplôme est confondu avec un certificat d’assiduité. Nous avons résisté à ces pressions, et trouvé un lycée public bien tenu. Silence dans les couloirs pendant les cours, circulation des classes sans brouhaha..Respect assuré aux enseignants aux personnels de direction, aux adultes qui se trouvent dans l’établissement : Il y a des signes qui ne trompent pas.
Nous avons choisi d’offrir des uniformes : la plupart des enfants n’en avaient pas. Le proviseur ne pouvait pas faire respecter la consigne selon laquelle un élève sans uniforme ne saurait être admis. Si par excès de zèle, il l’appliquait, il aurait vidé son lycée de la moitié des élèves. Les élèves ne sont pas réticents à porter un uniforme, au contraire. C’est un signe d’intégration dans le lycée. Souvent, ceux qui portent un uniforme n’en ont pas de rechange, et ne peuvent pas le laver. L’uniforme est parfois le vêtement unique que les enfants et les adolescents portent aussi en ville (surtout les garçons) . Un uniforme distribué à la taille de l’enfant peut difficilement être revendu. (Et l’enfant n’a pas envie qu’il soit revendu)
Nous avons distribué 700 pièces de drap noir de 2m sur 2,50 m pour confectionner des uniformes de filles. (La plupart des mères savent coudre)
Nous avons distribué 500 uniformes de garçons (chemise bleue) de différentes tailles.
Ces chemises bleues, fabriquées en Malaisie, sont malheureusement de qualité médiocre.
Faisant le pari de la confiance, nous avons, à la demande du proviseur, acheté 6 ordinateurs d’occasion pour la salle des ordinateurs de l’établissement. (306 euros l’ordinateur d’occasion de bonne qualité, avec un moniteur et un clavier). Le professeur d’informatique a consciencieusement vérifié l’état de ces matériels. Il n’y a pas de connexion Internet : les élèves s’entraînent au maniement de Words, d’Excell, aux différents logiciels de traitement de texte, à la présentation des documents et des tableaux. Ce n'est déjà pas mal.
Le don des uniformes et des ordinateurs s’est fait à un lycée pauvre des faubourgs de Kaboul : Le lycée Safiullah-Afzali.
Après un moment de déprime, lié au constat qu’une partie de ce qui avait été offert l’année dernière (dans un autre lycée) avait été détournée, (une proportion minime toutefois) nous sommes repartis plus confiants : il y a dans l’enseignement public des enseignants et des directeurs remarquables, qui font tout pour que leurs établissements soutiennent la concurrence du privé, qui font tout pour la réussite de leurs élèves.
À cette activité, il faut ajouter celles des parrainages. Nous avons (Nafissa et Michel) visité les filleuls de Kaboul, en vérifiant que leur niveau scolaire correspondait bien au niveau déclaré. (En dari, en anglais et en maths). Nous avons pris des photos de chaque filleul, et demandé une petite lettre adressée aux parrains. Notre correspondant sur place a effectué le même travail à Mazar-e-Sharif. (La route de Mazar étant difficilement praticable, coupée par de fortes inondations). Nafissa a contacté directement les familles des filleuls de Mazar par téléphone pour vérifier la situation scolaire, et la bonne réception de l’allocation versée par les parrains.
Bilan financier sommaire :
2 070 euros pour parrainages et gestion des frais parrainage.
(somme prise sur le compte spécial parrainages)
1837 euros. Achat de 6 ordinateurs d’occasion.
2070 euros achat 1500 m de tissus pour uniformes filles.
769 euros achat 500 chemises uniformes garçons.
450 euros location voiture pour 15 jours.
Total dépenses sur le compte association : 5126 euros.
Nafissa et Michel.