Kaboul Mission 2013
Nafissa. Rapport d’activité pour « solidarité Provence Afghanistan »
Mai 2013.
Le type d’aide que nous apportons aux établissements scolaires suppose que nous changions d’école chaque année. On ne peut pas tous les ans équiper la même école en tableaux en chaises ou en pompes à eaux…
Nous sommes dans une situation intermédiaire. Le budget consacré par l’association à l’équipement des écoles devient plus important et nous permet de distribuer autre chose que des cahiers, des stylos bic et des crayons. Mais nous n’avons pas assez d’argent pour financer des constructions en dur.
Heureusement d’ailleurs, le ministère de l’Education Nationale contrôle de plus en plus ce que font les ONG et les encadre, pour éviter l’anarchie qui prévalait il y a quelques années. (Ecoles construites sans rapports avec les besoins de la population, sans cohérence avec le plan de recrutement des enseignants)
Je suis arrivée le Dimanche 5 mai à Kaboul. Dès le Dimanche après midi, j’ai téléphoné pour trouver la voiture et le chauffeur qu’il fallait pour mes déplacements. J’ai commencé à me renseigner sur les besoins des lycées et des écoles, et à faire le tri dans les listes que me présentaient les directeurs.
Certaines écoles demandaient des choses qui excédaient nos moyens. (par exemple, aménagement d’une salle informatique avec 10 ordinateurs, aménagement complet d’une salle des professeurs)
J’ai d’abord concentré mes recherches sur la banlieue nord de Kaboul. C’est dans les zones les plus périphériques de la capitale que se trouvent les populations déplacées, de retour des camps de réfugiés.
Un récent fait divers a rendu les directeurs méfiants : un directeur et une enseignante ont été licenciés pour avoir laissé une équipe de télévision filmer leur école dans un état de délabrement certain. Cette mesure extrême (Les licenciements) s’explique en partie par la volonté de ne pas donner des écoles une image trop lamentable. Elle s’explique aussi, je l’ai compris petit à petit, par la pratique d’associations malhonnêtes qui photographient des locaux très dégradés, ne réalisent absolument rien, et partagent avec les directeurs d’école l’argent qui aurait du être consacré à la réfection. Il a fallu que je me montre convaincante, persuasive, pour assurer aux administrations que le travail serait fait, que je ne prendrais pas seulement des photos de locaux délabrés, mais aussi des photos de ce que j’apporterai au lycée.
Il semble que certaines ONG se spécialisent dans la photographie de la misère, qui aide à avoir des subventions, sans jamais rien réaliser. C’est du moins ce que m’a affirmé le responsable de l’éducation nationale de l’arrondissement.
Autre problème : Les directeurs et les responsables d’arrondissement voulaient savoir combien d’argent j’avais apporté de France. Ils disaient qu’un certain nombre d’associations dépensent très peu en Afghanistan et repartent en Europe avec le gros de l’argent. Il est difficile pour un directeur de comprendre qu’une association puisse offrir 1000 euros et pas plus, qu’elle puisse contribuer à un chantier de 1000 euros et pas plus. Le directeur soupçonne immédiatement un détournement de fonds : l’association occidentale, riche par définition, doit avoir beaucoup plus et ses membres doivent garder pour eux la part la plus importante.
On m’a renvoyé d’un bureau à l’autre, pour chercher une autorisation d’aider telle ou telle école. A chaque fois, on m’a demandé de combien d’argent je disposais (sans référence à l’association). Il a fallu que je précise à plusieurs reprises qu’il ne s’agissait pas de mon argent, mais de celui de l’association, et que j’avais des comptes précis à rendre. J’évitais de déclarer la somme que l’association m’avait confiée, de manière à garder mon entière liberté de manœuvre par rapport aux différentes écoles que j’aidais
D’autres personnes m’ont assuré plus tard que le but des administrateurs était peut être de demander à partager la somme pour obtenir l’autorisation de photographier et d’aider. On arrive à des situations compliquées où il faudrait payer pour pouvoir aider. On a le choix entre corruption ou inefficacité bureaucratique. Ou les deux à la fois. J’étais très étonnée, et je ne comprenais rien à ce qui se passait. Lors des voyages précédents, il n’avait pas été difficile d’obtenir la possibilité d’aider, cela allait de soi.
J’ai compris que les difficultés auxquelles je me heurtais avaient aussi un sens politique : certaines personnes sont en fait dévouées aux futurs candidats aux élections présidentielles. Un jour elles viennent et distribuent des tas de choses utiles : le lendemain elles reviennent et photographient les enfants, les professeurs, brandissant la carte de tel ou tel parti. Je vous aide, mais vous votez pour untel. La photo terminale est le signe de l’engagement à voter. J’ai facilement convaincu mes interlocuteurs que j’ignorais tout des prochains candidats aux présidentielles : quand je parlais de partis politiques, j’énumérais ceux qui existaient avant l’arrivée des russes : on me regardait avec pitié, comme si je venais d’une autre planète.
C’est la première année où je me suis trouvée en position d’avoir à démontrer ma bonne foi.
J’ai trouvé par hasard une école qui avait des besoins considérables, dans la ville de Kaboul même. J’ai vu par la porte ouverte que les classes se faisaient dehors, en plein soleil. Je suis rentrée. Le directeur est venu à ma rencontre. Ce lycée avait besoin de tout : de tentes, puisque les cours se faisaient en plein air, de chaises de bureaux, de tableaux et d’eau. Le lycée avait été équipé par une organisation chinoise il y a un des années déjà : les plateaux et les dossiers en bois avaient été dévissés, les chaises aussi, il manquait des boulons pour fixer ensemble les différentes parties de ces chaises en fer. Les élèves apportaient avec eux des planches pour pouvoir les poser sur les ferrures des tables. Le directeur m’a laissé photographier. Le lendemain, j’ai fait livrer les tentes : le directeur et les enseignants ont commencé à me faire confiance. Ils étaient persuadés que je ne reviendrai pas. J’ai fait remettre des dossiers neufs aux bancs, des planches aux tables : j’ai payé les menuisiers et les ouvriers qu’il fallait pour revisser les chaises qui avaient été stockées dehors et sur les toits.. J’ai commandé des tableaux en bois peints en noir pour les classes en dur et pour les tentes. J’ai acheté une pompe à eau pour rééquiper le puits, et 50 m de tuyaux pour acheminer l’eau du puits. Ce que je disais, je le faisais dans la journée ou le lendemain au plus tard. Le directeur a mis à ma disposition la documentaliste qui m’accompagnait partout pour vérifier le travail. Ca les changeait des discours habituels dans lesquels « demain » veut dire « jamais ».
Dans une autre école, à l’Est de Kaboul, à la limite de la zone talebane, j’ai trouvé aussi un autre directeur très coopératif. Ce lycée est situé sur une colline, à côté du cimetière du village ; il n’y avait pas d’endroit plat pour jouer. Le directeur m’a fait remarquer que les garçons pouvaient courir dans les collines, c’est hors de question pour les filles qui ne peuvent pas prendre d’exercice. Il y avait donc besoin d’un plateau d’évolution sportif pour faire un terrain de volley et un terrain de basket. Nous nous sommes entendus pour travailler de la manière suivante : les vendredis, jours de congés, les garçons de première et de terminale viendraient au lycée pour creuser la colline et aplanir l’endroit. Pour ma part, je payerai 100 sacs de ciment, et les ouvriers pour confectionner la dalle, plus la location de la bétonnière. Aussitôt dit, aussitôt fait, au bout de trois jours, les deux tiers de l’espace étaient déblayés par les garçons, et les ouvriers avaient déjà réalisé plus de la moitié de la dalle.
2600 enfants fréquentaient ce lycée. (du CP à la terminale) : je ne pouvais plus payer de cahiers à tout ce monde, aussi j’ai demandé au directeur la liste des familles les plus pauvres ; je ne pouvais fournir que 160 kits scolaires : 2 cahiers de 100 pages, 1 crayon, un bic, une gomme.
J’ai consacré aussi du temps aux filleuls de l’association. Je ne suis pas personnellement allé voir les filleuls de Mazar : il y avait de fréquentes avalanches de neige sur la route du Salang, beaucoup de voitures étaient tombées dans le ravin emportées par la neige. J’ai laissé à Nader, mon collaborateur sur place, plus habitué et plus aguerri que moi, le soin d’aller voir les filleuls de Mazar e- sharif. D’ailleurs, si j’avais été à Mazar, il aurait fallu que j’y consacre au moins deux jours, et je n’aurais pas pu faire tout ce que j’ai fait à Kaboul. Chaque fois que Nader a rencontré les filleuls soutenus par l’association, il m’a appelé au téléphone : j’ai pu ainsi m’entretenir avec les familles. Chaque filleul a rédigé une lettre pour son parrain, précisant sa situation scolaire. Nader a pris les photos de chacun et de toutes les familles.
Chaque parrain recevra bientôt la lettre traduite de son filleul et une ou plusieurs photos.
J’ai fait personnellement le tour des filleuls de Kaboul.
J’ai distribué aux familles qui en avaient le plus besoin dans l’entourage le contenu des colis que nous avions fait expédier par l’armée française. Nous ne rééditerons pas cette expérience : la préparation des colis demande beaucoup d’énergie. Et surtout la garde dans un entrepôt utilisé par différentes associations pose de gros problèmes : il y a eu confusion entre les cartons pourtant bien étiquetés, et j’ai du apporter au lycée Istiqlal six cartons de livres que nous n’avions pas prévus.
La générosité des membres et des donateurs a permis de faire un travail important et efficace. Qu’ils en soient remerciés.
Trois enseignements : d’abord la hausse considérable des prix des transports (taxis, camions.) On perd beaucoup de temps dans les embouteillages. Il y a des péages, des taxes à payer à chaque instant. (taxes prélevées par les entreprises qui font les routes, par les propriétaires des terrains)
Ensuite la méfiance des établissements et des responsables de l’éducation. Cette méfiance due certainement à une série de détournements peut être aussi le signe positif de la reconstruction d’une administration afghane.
Enfin le problème qui domine tous les autres : celui de la sécurité : cinq attentats, dont deux explosions très importantes, pendant mon séjour, pour la seule ville de Kaboul.